Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par jjlatouille

Au cours d’une interview sur BFMTV (le 17 juillet 2022) un représentant de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France a rappelé que les problèmes auxquels les pompiers sont confrontés face aux feux de forêts, cette année 2022, ne sont pas que matériel. L’humain est aussi au cœur de la lutte contre les incendies.

Pour faire face à un incendie, plus généralement à toute catastrophe naturelle, il ne suffit pas de disposer de camions et de lances encore faut-il avoir des femmes et des hommes pour armer ces camions et pour tenir les lances. Or, et ce n’est pas un scoop, les effectifs de pompiers volontaires sont en baisse, plus encore si on corrèle le chiffre à celui de l’accroissement de la population française. Selon le ministère de l’intérieur il y avait 204 031 sapeurs-pompiers volontaires en 2005, leur nombre n’était plus que de 193 656 en 2015. Cette baisse des effectifs a vraisemblablement une incidence sur le temps d’intervention, donc pourrait se répercuter – en la réduisant - sur la durée l’engagement, de chacun des sapeurs-pompiers lorsqu’on voit que sur 10 heures d’intervention, 6 h 36 (soit 66 %) sont effectuées par des sapeurs-pompiers volontaires. En 2015, le document du ministère de l’intérieur ne montrait pas d’augmentation importante du nombre d’intervention et surtout il montrait qu’il n’y avait pas de réduction de la durée d’engagement de chaque pompier si on la mesure par l’évolution de l’ancienneté moyenne des sapeurs-pompiers. Ces données devront être affinées (et actualisée) mais d’ores et déjà arrêtons-nous sur la baisse des effectifs qui ont légèrement remonté puisque la Fédération nationale de sapeurs-pompiers de France affiche 197 100 pompiers volontaires en 2022.

Il est habituel d’attribuer ces baisses d’effectifs à un manque d’engagement des personnes dans des activités de bénévolat. C’est un constat général que peuvent faire toutes les associations où si le nombre d’adhérents augmente celui des « administrateurs » diminue jusqu’à une cote d’alerte que connaissent bien les clubs sportifs qui souffrent d’un manque d’encadrant. On peut aussi, concernant les associations d’aide comme la Croix Rouge, les Resto du cœur… Sans doute lier la baisse des effectifs de bénévoles à une moindre volonté de s’engager et à une diminution de l’esprit de solidarité. Comme pour les sapeurs-pompiers je ne pense pas qu’il faille lier les baisses d’effectif à une très hypothétique perte des valeurs de solidarité ; chaque « catastrophe » voit un nombre important de personnes se mobiliser pour venir en aide.

L’hypothèse que je poserais regarderait plutôt la question de la durée et l’exigence de l’engagement : faut-il se former, combien d’heures par semaine sont exigées, et, si je m’engage pour combien de temps en termes d’années dois-je le faire. Lors du premier confinement pour la CoViD les « épiceries sociales » ont vu affluer un très grand nombre de volontaires, certains, comme toujours, ont créé leur propre association d’aide. J’étais alors administrateur d’un centre social et lorsque je questionnais ces nouveaux bénévoles assez majoritairement j’obtenais la réponse suivante : « Je viens donner un coup de main parce que ça me permet d’être utile et aussi de sortir de chez moi (les sorties pour ces activités étaient autorisées) ». Puis bien vite, le retour à la normale étant là, les effectifs de ces bénévoles ont fondu comme neige au soleil. J’ai revu certains de ceux qui ont quitté le navire ; pour beaucoup d’entre eux la raison principale de leur départ se structurait autour du temps à consacrer à l’activité qu’ils jugeaient trop important par rapport à l’organisation de leurs activités habituelles.

C’est donc bien du côté des contraintes matérielles liées à l’engagement qu’il faut orienter les analyses. Il n’est pas nécessaire, même s’il ne faut pas négliger cet aspect, d’orienter la communication visant à recruter sur un discours sur la solidarité. La communication doit être plus structurée autour des conditions de l’engagement : niveau de compétence initiale, besoin et existence de formation, quantité d’heures à consacrer à l’activité, périodes où s’exerce l’activité… Là, on rejoint une des raisons qui explique la baisse du nombre de sapeurs-pompiers bénévoles : le changement de l’organisation de la société qui modifie considérablement la possibilité de se libérer en journée et plus encore sur plusieurs jours.

Jadis les villages et les petites villes accueillaient de nombreux commerçants et artisans qui, en nombres importants, s’engageaient dans le corps des sapeurs-pompiers locaux, très souvent un de leurs employés en faisait de même. Mais dans ces temps il n’y avait aucune difficulté, lorsque la sirène retentissait, à se libérer du travail pour rejoindre la caserne. Je me souviens très bien de ceux qui dans ma ville de 7000 habitants participaient à cet engagement : le livreur d’un limonadier, le peintre en carrosserie dans un garage, le maréchal-ferrant, le mécanicien de la commune, les ouvriers municipaux… Aujourd’hui le petit commerce et l’artisanat ont déserté les villages, et quand ce n’est pas le cas les conditions d’organisation du travail n’autorisent plus de libérer pour plusieurs heures un employé ni même un « artisan patron ». La Fédération nationale des sapeurs-pompiers ne s’y est pas trompée et pour favoriser ce type d’engagement a créé « Terroirs engagés » : « La nouvelle appellation Terroirs engagés est née d’une volonté de mettre en valeur les sapeurs-pompiers volontaires (SPV) qui sont à leur compte. Tous ces artisans, commerçants, professions libérales et entrepreneurs, qui ont été à chaque fois laissés pour compte dans les plans nationaux successifs en faveur du volontariat. » 

En outre il faut relever une perte de proximité entre les pompiers et la population ; je pense que cette dernière considère que les pompiers sont un quasi-corps de fonctionnaires et qu’à ce titre ils sont taillables et corvéables à merci pour rendre service à une population toujours plus tournée vers la recherche de la satisfaction à ses désirs et à son plaisir. On est là dans un espace de réflexion qui devrait être creusé et qui est en rapport avec l’engagement : pourquoi je m’engagerais bénévolement alors que la collectivité a la charge de me protéger ?

Dans les années 1970‑1980, j’étais alors directeur du secourisme dans une des plus anciennes associations dans ce secteur, et je me souviens que le brevet de secouriste s'acquérait après une dizaine d’heures de cours, c’est dire que nous côtoyions les stagiaires longtemps, que nous avions le temps de partager des expériences, et que nous militions pour recruter pour nos équipes ou pour les pompiers qui souvent nous accompagnaient dans ces sessions de formation.

Voilà, très rapidement et très schématiquement, un certain nombre de causes possibles de la désaffection des personnes pour l’engagement. La disparition de ces espaces où les activités, avec leurs exigences, se montraient a entraîné la perte d’un lieu de création de lien social. Comme le service militaire n’a jamais créé, sauf dans les envolées lyriques de ceux qui n’y ont pas participé, de rapprochements sociaux ni d’engagement associatif et caritatif massif, le Service National Universel ne constitue pas, tel qu’il est organisé, un dispositif suffisant pour lever les obstacles à un engagement dans les associations caritatives, d’autant moins que la très grande majorité des participants ont déjà, avant le SNU, un lien fort avec l’engagement : parents policiers ou pompiers, eux-mêmes jeunes sapeurs-pompiers… Seul un changement de paradigme dans l’organisation de la société et de ses valeurs pourrait modifier la situation actuelle : faire de la reconnaissance de l’Autre et du partage les valeurs centrales de la société prédominantes par rapport à la recherche du plaisir consumériste et égoïste.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article