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Publié par jjlatouille

Albert Camus écrivait que mal nommer les choses c’est ajouter du malheur au monde, mais quand « ceux-ci [les malheurs] se déchaînent, il arrive que les mots manquent », écrivait Maud Vergol dans L’Humanité du 12 octobre 2023. Alors, comment interpréter la querelle à propos du mot « terrorisme » ? Mot en trop ? Absence de mot ?

La querelle autour des mots « terrorisme et terroriste » que certains ne veulent pas utiliser à propos du Hamas, m’a particulièrement interpellé. Certes le porte-étendard de cette querelle : Jean-Luc Mélenchon et sa stratégie de la provocation, ne sont pas étrangers à l’ampleur qu’a pris cette querelle qui, avec un peu de recul et de mise à distance, concerne moins une prise de position vis-à-vis du conflit entre Israël et le Hamas qu’un règlement de compte politique voire plus prosaïquement politicien. Pour autant, ne négligeons pas que les mots sont en politique les oriflammes d’idéologies et des indicateurs de stratégie. Par exemple le politologue Pascal Perrineau déclarait que JL Mélenchon serait, en quelque sorte, dans l’obligation de nier le qualificatif de terrorisme pour l’action du Hamas puisque, suivant le politologue, l’essentiel de l’électorat de LFI se trouverait dans les banlieues dont on sent bien que pour lui il s’agit de cités « arabo-musulmanes ». Mélenchon doit donc flatter cet électorat en n’accusant pas le Hamas d’être un groupe terroriste. Laissons là cette analyse de Perrineau un peu spécieuse et qui ressemble bien à un biais de confirmation au regard de l’engouement de ces populations vis-à-vis des élections, notamment concernant les plus jeunes d’entre eux dont par ailleurs il serait intéressant de savoir combien sont inscrits sur les listes électorales. À celle, trop superficielle de Perrineau, je préfère l’analyse de Nonna Mayer dans £e Monde : « La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme parle d'antisémitisme électoral, je n'irai pas jusque-là mais je pense qu'il a, au minimum, une cécité volontaire, visant à élargir son audience à gauche et dans un électorat issu de l'immigration. » Mélenchon n’est donc pas dans une démarche de confortation qui pourrait accréditer qu’il serait antisémite, au contraire il est dans une démarche de conquête d’un électorat au-delà de tout antisémitisme. Donc, que cache l’usage versus le non-usage du mot terroriste ?

 

La première question à poser est bien sûr celle la signification du mot terroriste. Dans un article paru sur le site Conversation Marc Sageman[1] indique que « le terme terrorisme est avant tout juridique et non un concept scientifique. Il dérive d’un compromis entre juristes, datant des années trente afin de créer une nouvelle typologie criminelle pour faciliter l’extradition des auteurs. Il se réfère ainsi à un processus mettant en danger une communauté ou créant un climat de terreur. Si beaucoup utilisent ce terme dès qu’on parle de violence politique, attention à ne pas oublier sa dimension réflexive : le terroriste des uns, c’est le combattant pour la liberté des autres. » Là, Emmanuel Macron et ses affidés ainsi que la droite conservatrice ont, par exemple, oublié qu’entre 1940 et 1945 ceux que les dirigeants allemands et les dirigeants de l’État pétainistes, en France, appelaient des terroristes se sont couverts de gloire et ont été reconnus sous le vocable de « Résistants ». Concernant Macron, son impétuosité d’adolescent l’a entraîné comme il en a l’habitude, à faire une déclaration plus à même de créer des fractures, du dissensus plutôt qu’à rassembler. Était-il judicieux, sauf à prendre un parti pris net en faveur d’Israël, d’utiliser le terme terroriste dans sa déclaration du 12 octobre : « Israël a le droit de se défendre en éliminant les groupes terroristes, dont le Hamas, par des actions ciblées mais en préservant les populations civiles, car c’est là le devoir des démocraties » ? Bien sûr, cette déclaration a été particulièrement suivie par la presse et, par exemple, le journal Belge Le Soir rapportait un point clef, du discours de Macron, de nature à créer de la discorde : « ceux qui confondent la cause palestinienne et la justification du terrorisme commettent une faute morale, politique et stratégique ». Si Emmanuel Macron avait ne serait-ce qu’une once de culture historique il verrait à quel point son propos n’a guère de sens si ce n’est celui de soutenir inconditionnellement Israël. Effectivement, un regard sur l’histoire permet de voir que de nombreux peuples, en tout premier lieu la France, ont acquis leur indépendance et leur souveraineté dans des guerres où ils faisaient figure de terroristes face à un état dominateur : l’Algérie, le Vietnam… et il saurait aussi combien le terrorisme a changé de forme au cours des temps et combien il recouvre de sens et de stratégies différents. Michel Wieviorka le rappelle bien dans l’échange qu’il a avec Marc Sageman : « Le tournant s’est opéré au milieu des années quatre-vingt. Avant, nous avons connu le terrorisme interne, d’extrême gauche ou d’extrême droite, ou séparatiste, comme avec l’ETA au Pays basque espagnol, et le terrorisme international, à commencer par celui se réclamant de la cause palestinienne. Nous avons aujourd’hui un terrorisme global, qui mêle des dimensions internes et des dimensions géopolitiques, la crise des banlieues, par exemple avec les conflits du Moyen-Orient. Ce terrorisme, qui est souvent religieux, peut être martyriste, renouvelant profondément cette forme extrême de violence. Par ailleurs, la violence politique au nom de la religion n’est pas le monopole de l’islam radical : il existe ainsi un terrorisme hindouiste ou bouddhiste si l’on pense aux atrocités commises contre les Rohingya en Birmanie. »

Au lendemain du 7 octobre, dès lors qu’Israël déclarait avoir été attaqué par des « terroristes » du Hamas, tout le monde s’est engouffré dans le vide créé par le mot terrorisme ; un vide politique aux sens que Paul Ricoeur donnait au mot « politique » en confrontant le politique qui structure l’action en commun à la politique qui est une activité gravitant autour du pouvoir, de sa conquête et de son exercice. Ici, le vide politique est bien caractérisé par une absence « du politique » : des mots mais pas d’action structurante pour la société et moins encore pour l’humanité, au contraire nous avons assisté à un discours politique déstructuré fait d’invectives et de polémiques qui s’est associé à un chaos de la politique où chacun essaie de se faire une image, où chaos[2] est pris ici comme ce qui est ou semble inorganisé, désordonné, confus, parfois incohérent ou obscur et qui peut être l’image d’un désordre social, politique ou économique, un état d'agitation et d'anarchie. De chaos le Général de Gaulle[3] en fit l’usage suivant : « Il y aurait, de la part de ceux qui visaient à la subversion, la volonté de dévoyer la résistance nationale vers le chaos révolutionnaire d'où leur dictature sortirait. » Je suivrai dans une analogie audacieuse la ligne d’analyse du général de Gaulle dans la mesure où les débordements de mots mais aussi de haine contre ceux qui refusaient d’utiliser le mot terroriste qui montraient, dans l’incohérence sémantique, une volonté de détruire combinée à une volonté d’instaurer une « pensée unique » ; on oppose alors la « bien-pensance » à la « mauvaise pensée » et un soutien inconditionnel à Israël.

Ainsi, chacun, des plus illustres aux plus ignorants de la chose publique, y sont allés de leurs « mots » comme le chanteur Enrico Macias et le cinéaste Philippe Lelouche[4] qui abandonnant toute tolérance [essence de la démocratie et de la république] face aux opinions contraires, se laissèrent aller à des mots extrêmes et extrêmement graves pour une société qui vit en république. Pour le premier[5] parlant de Jean-Luc Mélenchon et des membres de LFI : « … il faut les dégommer ces gens-là […] « Politiquement », lui fait préciser l’animateur. « Bah bien sûr, mais peut-être physiquement » ; pour le second : « Mélenchon est un antisémite et une ordure ». Le pire n’était pas là où nous pouvons considérer ces propos tenus par de personnes, certes célèbres, mais qui ne représentent rien sinon elles-mêmes et leur ignorance du monde, le pire c’est quand un homme politique qui fut plusieurs fois ministre comme Xavier Bertrand porte une accusation nauséabonde contre un autre homme politique : « Mélenchon est le fossoyeur de la République… » Les deux premiers sont des guignols qui s’excitent dans des invectives de Café du Commerce, concernant le troisième la démarche politicienne est évidente ; quoi qu’il en soit de ce qu’ils sont, leurs paroles sont portées par les médias et ne sont pas sans effet sur l’opinion publique. Nombreux furent les femmes et les hommes politiques à rejoindre le chœur des vierges faisant reposer leur argumentation (ou du moins ce qui voudrait l’être) sur une lecture tronquée voire falsifiée de l’histoire souvent présentée par de savants politologues construisant une confusion entre un groupe armé et l’idéologie qu’il portait ; or les idéologies ne meurent pas, le Nazisme en est la preuve. Donc il s’agit bien de rassembler, derrière le mot terrorisme porté en oriflamme, les soutiens à Israël qui seuls ont droit d’exister « proprement », toute opposition ou seulement tout parti pris dissonant transforme le locuteur en paria. Pour sortir de cette position quasi dictatoriale certains (rares) comme le fit Jean-Louis Bourlanges[6] (président du groupe MODEM à l’Assemblée nationale) n’hésitèrent pas à invoquer l’Histoire avec clarté et justesse en fondant leur discours sur un principe des sciences humaines [mais la connaissance des sciences n’a que peu de place dans la pensée des hommes et femmes politiques] énoncé par Émile Durkheim : « Pour bien comprendre une pratique ou une institution, une règle juridique ou morale, il est nécessaire de remonter aussi près que possible de ses origines premières ; car il y a, entre ce qu’elle est actuellement et ce qu’elle a été, une étroite solidarité. Sans doute comme elle s’est transformée chemin faisant, les causes dont elle dépendait dans le principe ont elles-mêmes varié ; mais ces transformations, à leur tour, dépendent de ce qu’était le point de départ. », ainsi pour Durkheim l’idée que le passé éclaire le présent a la valeur d’un principe fondateur de toute analyse de situation sociale. Chaque fait social s’inscrit dans une histoire explicative des causes de génération et de son développement autant que de la forme qu’il présente dans le présent, c’est ce que rappelle Monseigneur Vesco, archevêque d’Alger dans le journal La Croix du 16 octobre[7] : « La violence barbare du Hamas est sans excuse mais elle n’est pas sans cause. » Mais, qu’est-ce que l’Histoire sans les mots qui la disent ? Ainsi, le discours de J.L. Bourlanges ne négligeait pas le recours à l’histoire mais il la faisait reposer sur une sémantique partiale et approximative : « Le 7 octobre dernier, cette interminable tragédie a pris un cours décisivement nouveau et d’une gravité exceptionnelle : Israël s’est trouvé confronté à une agression paramilitaire de première grandeur, menée par un Hamas résolu à piétiner tous les principes, toutes les règles, tous les usages régissant les relations entre les peuples, que ceux-ci soient en guerre ou en paix. Si les mots ont un sens, il est clair que l’agression conduite par le Hamas est à la fois terroriste, constitutive d’un crime de guerre généralisé et adossée à un discours à caractère génocidaire assumé. Le Hamas met en scène les pires violences sur les populations dans le seul but d’effrayer et d’intimider : c’est du terrorisme. Le Hamas ne fait la guerre qu’aux civils, c’est la définition même et dans son extension maximale du crime de guerre ! »

Sémantique partiale puisqu’elle néglige de citer l’action de colonisation qui ampute chaque jour un peu plus les terres des Palestiniens reconnues par la Communauté internationale. Sémantique partiale parce qu’elle tait les humiliations infligées par Israël aux Palestiniens et plus largement aux Arabes vivants en Israël. Sémantique partiale parce qu’elle passe sous silence les actions militaires extrêmement meurtrières menées par Israël contre les Palestiniens où le nombre de victimes palestiniennes est incommensurablement supérieur à celui des victimes israéliennes, comme aujourd’hui d’ailleurs. Sémantique partiale parce qu’avant même tout développement historique le discours condamne d’emblée le Hamas : « Mais la question fondamentale, que met sous une lumière brutale l’initiative sanglante du Hamas, c’est celle des moyens propres à assurer la sécurité à long terme d’Israël. Et c’est de la réponse à cette question que doivent dépendre nos réactions à court et à moyen terme, comme celles de l’État hébreu. » Le long égrenage des épisodes qui ont marqué l’histoire entre la Palestine et Israël montre bien, et c’est à l’honneur de Bourlanges de la rappeler, combien la Palestine et surtout les Palestiniens avaient peu de place dans les négociations et moins encore dans le regard des Israéliens : « Bien plus, les accords d’Abraham ayant permis aux États arabes d’abandonner les Palestiniens à leur triste sort, le Gouvernement israélien s’est estimé libre d’engager sans risque une relance rampante mais brutale et déterminée de sa politique de colonisation en Cisjordanie. » [...] « Que les Palestiniens aient eu la tentation croissante et suicidaire de se réfugier dans une sorte de nihilisme politique ne peut, hélas, pas nous surprendre. » […] « Une population sans avenir, donc sans espoir, pouvait-elle être tentée par des partis modérés qui n’avaient rien à lui offrir ? » Quand on relit ce discours on est plongé dans une sorte d’expectative qui empêche de penser qu’il y aurait une analyse de fond de la situation entre la Palestine et Israël, le discours montre à la fois la difficulté de vivre pour les Palestiniens mais ne montre pas en quoi les actions des Israéliens pourraient en être la cause, in fine seuls les Palestiniens seraient la cause de leurs malheurs et seul Israël aurait le droit de se défendre. Il faut en de telles situations être modéré. Mais le discours de Bourlanges n’est pas modéré, il n’est qu’équilibré suivant son auteur : « Je m’exprime au nom du MODEM ; je suis donc tenu à une double exigence : tenir un discours équilibré – ce que j’ai fait – et défendre la cause européenne. », mais un discours équilibré n’est pas forcément équitable ni impartial, il est seulement et essentiellement dépourvu d’agressivité. Équilibré, impartial, modéré : que de mots, et que des mots pour lesquels nous devons trouver un sens : celui du lecteur de ce texte ne sera pas obligatoirement le mien. Les mots n’ont pas de sens exclusif ni définitif[8], les mots évoluent au cours de l’histoire.

Au-delà ou en plus de l’évolution, au cours de l’histoire, du sens des mots, ceux-ci ne sont que très rarement monosémiques, nous pourrions prendre l’exemple du mot « sens » qui possède une dizaine d’acceptions. Jacques Derrida (La dissémination) substituait « dissémination » à « polysémie », la dissémination permet au lecteur d’accéder à « une richesse inépuisable du sens ». En outre le sens d’un mot dépend fortement de la situation où il utilisé : il est contextualisé, et surtout il est indissociable de celui qui le reçoit en face d’un locuteur dont le discours se construit dans une « conscience » sachant que, écrivait Husserl, « le mot n’existe pas en soi, il est le résultat d’une visée de la conscience, et d’une conscience signifiante. » Aussi, le recours à l’Histoire peut servir d’alibi aux pires mystifications politiques pour lesquelles la construction du discours qui les porte ne serait pas solide sans le soutien des mots, aussi Jean-Louis Bourlanges, judicieusement, les convoque : « Si les mots ont un sens, il est clair que l’agression conduite par le Hamas est à la fois terroriste, constitutive d’un crime de guerre généralisé et adossée à un discours à caractère génocidaire assumé. » Il convoque les mots mais ne les définit qu’imparfaitement : « Le Hamas met en scène les pires violences sur les populations dans le seul but d’effrayer et d’intimider : c’est du terrorisme. Le Hamas ne fait la guerre qu’aux civils[9], c’est la définition même et dans son extension maximale du crime de guerre ! » Comment le pourrait-il dès lors qu’il commet cette erreur fondamentale du discours politique : croire que les mots ont un sens, un unique sens ! Comme l’écrit Jacques Rancière « La maladie de la politique, c’est d’abord la maladie des mots. Il y a des mots en trop, des mots qui ne désignent rien sinon précisément des cibles contre lesquelles ils arment le bras des tueurs ». Si le mot « terrorisme » avait un unique sens, un sens inscrit dans une monosémie il s’appliquerait aussi à Israël qui depuis plus de 70 ans, après avoir chassé les Palestiniens de leur terre, conduit une guerre systématique contre eux, tuant des milliers de civils dont des nouveau-nés, des enfants, des vieillards…, et, redisons le une fois encore, le nombre de Palestiniens morts dans les attaques israéliennes est incommensurablement supérieur à celui des Israéliens (majoritairement des militaires) morts dans des attaques du Hamas[10]. Si en politique, notamment, « terrorisme » n’a de sens que circonscrit dans un discours de circonstance, en droit il dispose d’une définition assez claire comme le rappelle Marc Sageman[11] : « Le terme terrorisme est avant tout juridique et non un concept scientifique. Il dérive d’un compromis entre juristes, datant des années trente afin de créer une nouvelle typologie criminelle pour faciliter l’extradition des auteurs. Il se réfère ainsi à un processus mettant en danger une communauté ou créant un climat de terreur. Si beaucoup utilisent ce terme dès qu’on parle de violence politique, attention à ne pas oublier sa dimension réflexive : le terroriste des uns, c’est le combattant pour la liberté des autres. »

Dès lors quel est l’intérêt, en politique, de l’usage sans contenant du mot « terrorisme » ? Je ne discuterai pas de l’analyse juridique partisane que l’honorable député fait de l’action du Hamas et des intentions qui la portent négligeant toute comparaison avec l’action de l’armée israélienne. Il s’agit donc bien pour lui de s’associer à la doxa du moment qui vise à discréditer le Hamas et en conséquence tous ceux qui, sans le soutenir, n’apporteraient pas une critique virulente. Ainsi, Mélenchon fera figure de mauvais objet de la sphère politique française ; notons au passage que Marine Le Pen et le Rassemblement National ont été plus malins (ou fourbes) que le leader de la France Insoumise et font, dans cette affaire, figure de membre acceptable du microcosme politicien.

L’usage intensif, excluant toute autre proposition, du mot terrorisme revient à créer une « formule » qui se constitue, par sa répétition, « en réfèrent social, c’est-à-dire en un passage obligé des discours[12]. » Ceux qui n’utilisent pas la formule comme le font Mélenchon, la BBC et l’AFP, s’excluent de la société voire la menacent. Ainsi, la « formule », en tant que dispositif de gouvernementalité qui semble être en jeu ici, participe, avec d’autres, de la logique des dispositifs de normalisation et de sécurité qui marquent les sociétés actuelles[13].

Il s’agit donc, pour les politiciens avec le président de la République à leur tête, en créant une norme d’attirer les Français dans un piège sémantique qui, effaçant l’histoire du conflit israélo-palestinien, ferait d’Israël un parangon de vertu et de la Palestine le modèle du mal. Ainsi, le discours politique vis-à-vis de ce conflit s’auto-conforte dans une position délibérément favorable à Israël dans un vaste mouvement anti-arabe. Or, comme le souligne Philippe Lançon[14], rescapé de l’attentat djihadiste contre la rédaction de Charlie Hebdo : « Je ne supporte pas plus les discours anti- musulmans que les discours pro- musulmans. Le problème, ce ne sont pas les musulmans, ce sont les discours », mais « Ce qui distingue l’acte terroriste d’autres crimes, on le sait, est son retentissement, l’écho qu’il suscite au sein de la société frappée. “Une action violente est dénommée terroriste lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques”, note ainsi Raymond Aron. La disproportion tient pour une large part à la médiatisation de l’action terroriste et à son indétermination, qui déclenchent presque instantanément une vaste discussion sociale : nous avons, dans cet instant, besoin de parler, pour comprendre ce qui nous arrive – qui nous attaque, et pourquoi –, et en même temps d’exprimer ce que nous ressentons, pour nous assurer que les autres ressentent bien la même chose que nous[15]. » Il faut faire « bloc » comme le serine le président de la République, donc, une fois encore, quiconque pense différemment de la majorité se voit exclu. Pour Rashid Khalidi[16] : « Le but de ce mot « terroriste » est d’abord de faire oublier l’histoire en prétendant la remplacer par un combat entre le bien et le mal. » Il s’agit donc bien de créer une norme du bien versus le mal.

La querelle autour du mot « terrorisme » est le reflet de cette mise en norme où l’émotion est aux commandes alors que la sérénité et la raison sont aux oubliettes dans une gouvernance qui consiste à mépriser l’adversaire ce qui est antirépublicain et peu démocratique. C’est ce que souligne Robert Habeck[17] : « Les attaques offensantes se substituent aux arguments, […] La réfutation des idées d'autrui laisse place aux accusations réciproques. La conséquence en est que des milieux et des groupes sociaux se replient toujours plus sur eux afin de mieux se prémunir contre des arguments et des intérêts qui ne sont pas les leurs. » On voit dans cette querelle autour du lot « terrorisme » plus une volonté d’ostraciser à la fois les musulmans à travers la stigmatisation du Hamas en effaçant au passage les atrocités identiques et plus nombreuses commises par Israël, et une volonté politicienne de mettre à l’écart du jeu politique Mélenchon et la France Insoumise. Le Rassemblement National, en se joignant au chœur des vierges, se purifie et en profite pour exacerber et justifier son islamophobie.

L’intolérance de la classe politicienne, le soutien inconditionnel envoyé à Israël qui œuvre au mépris du droit international, la marche (qui n’a rencontré qu’un médiocre succès) contre l’antisémitisme versus l’interdiction des manifestations propalestiniennes ont bien plus contribué à diviser le pays que les élucubrations de J.L. Mélenchon qui, au demeurant, conserve le droit et la liberté d’avoir de opinions divergentes de la norme. L’exacerbation du cas Mélenchon par les politiciens et par la presse bien-pensante clive le pays et ne rassemble pas. Pour éviter ce désastre sociétal ceux-là auraient dû s’inspirer de cet article par dans le journal québécois Le Devoir le 13 octobre 2023 : « Comment rester nuancé face à la guerre Israël-Hamas ? » On y lit (je cite in extenso) : « Des manifestants glorifient les attaques envers les civils israéliens ou palestiniens. Des propos antisémites ou islamophobes sont proférés sur la plateforme X. Des politiciens rejettent toute critique envers un camp ou l’autre. Les discours et l’analyse de ce conflit sont en proie à une « extrémisation », selon David Morin, titulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent. Or, il faut résister à la tentation de simplifier ce long conflit, qui est entré dans une nouvelle phase avec l’attaque du Hamas samedi dernier, selon le professeur de l’Université de Sherbrooke. » […] « La morale implique qu’on puisse avoir une position nuancée, qui considère à la fois l’horreur et le caractère inacceptable des attaques terroristes commises en sol israélien et le fait que la réponse militaire israélienne, qui consiste à pilonner Gaza — et donc à faire des victimes civiles — n’est pas plus acceptable », estime M. Morin, ajoutant que le droit international humanitaire s’applique et que les crimes de guerre doivent être proscrits de part et d’autre. […] « La morale ne peut pas être à géométrie variable. La vie d’un civil israélien ne vaut pas plus ou moins que celle d’un civil palestinien, et inversement », argue le politologue.

Favoriser la nuance plutôt que les positions partisanes, ne veut pas dire qu’on s’abstiendrait de prendre position, mais pour faire avancer le débat public, plutôt que des querelles autour de mots prononcés ou pas, il s’agit d’étayer son opinion par des arguments et des faits. Mais, aujourd’hui chez les politiciens, en France, on constate que les propos réfléchis sont souvent abandonnés, chacun favorisant l’étiquetage, les insultes ou la déformation des opinions adverses pour les écarter comme le souligne Robert Habeck[18]. Ainsi, en France dans le microcosme politicien et dans les sphères de la gouvernance les mots se transforment le plus souvent en maux, ce qui ne fait pas avancer la société ni ne rassemble et n’unifie les citoyens.

Confucius disait que lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté. On le voit bien dans les discours à propos du conflit israélo-palestinien où chacun est prisonnier – donc dépourvu de liberté d’action- de son carcan de mots. L’exemple le plus caractéristique est celui de Macron qui ne sait comment se défaire de ces déclarations du 12 octobre lorsqu’il donnait un véritable blanc-seing à Israël pour commettre des atrocités à Gaza.

Mais, c’est comme ça en politique de nos jours comme le relevait Henry Kissinger[19] : « Ce conflit (la guerre du Vietnam) inaugurera un style de débat public portant moins sur le fond que sur des motifs et des identités politiques. La colère a remplacé le dialogue pour les différends, et le désaccord est devenu un choc des cultures. En l'occurrence, les Américains ont couru le risque d'oublier que les sociétés ne deviennent pas grandes par le triomphe des factions, par l'anéantissement d'adversaires intérieurs ou par la victoire des uns contre les autres, mais par un objectif commun et par la réconciliation. »

 

 

 

[2] D’après « chaos » sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.

[3] De Gaulle, Mémoires de guerre,1954, p. 70. (Cité par le CNRTL)

[4] Philippe Lelouche : « C’est un antisémite et c’est une ordure »

[5] Enrico Macias : « Quand j’entends l’extrême gauche qui se défausse devant cette horreur, eh ben vous m’obligez à dire ce que je ne voulais pas dire : il faut les dégommer ces gens-là », a déclaré Enrico Macias mardi soir sur « CNews », sur le plateau de Pascal Praud. « Politiquement », lui fait préciser l’animateur. « Bah bien sûr, mais peut-être physiquement », a ajouté le chanteur de 84 ans, précisant plus tard qu’il parlait de membres de LFI, à ses yeux « complices » du Hamas. »

[8] Rancière J., Les mots de l’histoire, Seuil.

[9] Cette allégation est fausse, le Hamas s’attaque aussi aux militaires israéliens.

[10] Par exemple en 1948 alors qu’Israël naissait il y eu 6000 morts israéliens majoritairement des soldats, alors que les morts palestiniens furent entre 12000 et 20000 majoritairement des civils

[11] Terrorisme, radicalisation, islam : Michel Wieviorka en conversation avec Marc Sageman (theconversation.com)

[12] Auboussier J., Doytcheva M., Seurrat A., Tatchin N., La diversité en discours : contextes, formes et dispositifs, dans Mots, Les langages du politique, 2023/1, n°131

[13] Ibd

[14] Truc G., Le Bart C. et Née E., « L’attentat comme objet de discours : problématique et enjeux », Mots. Les langages du politique [En ligne], 118 | 2018, mis en ligne le 05 novembre 2018, consulté le 23 avril 2022. URL :  http://journals.openedition.org/mots/23683 ; DOI : https://doi.org/

[15] Ibd

[17] Habeck R., Le langage en politique, ce que les mots font à la démocratie, Les Petits Matins

[18] Déjà cité.

[19] Henry KISSINGER, Leadership, Six études de stratégie mondiale, Fayard

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