PS, RN : de la censure au consentement
crédit photo : L'interpellation Cavaignac à la Chambre des Députés - La bagarre pendant le discours de Monsieur Jaurès / Le monde Illustré 29 janvier 1898 source gallica.bnf.fr
La motion de censure est un moyen mis au service des Parlementaires, qui disposent d’un droit et d’un devoir de contrôle, sur l’action du gouvernement. Depuis la dissolution de juin 2024 dans une Assemblée nationale, dont la composition ne satisfait personne, l’usage de la motion de censure a pris une coloration d’une lutte politique au sens le plus politicien qui soit : électoraliste.
Dans sa définition originelle la censure concernait le pouvoir (étatique, religieux ou privé) qui pouvait limiter la liberté d'expression sur des livres, médias ou diverses œuvres d'art, avant ou après leur diffusion au public[1]. C’est en se reposant sur ce principe de « limitation de la liberté d’expression » que repose, en politique, l’essence de « la motion de censure » dans le régime parlementaire reposant sur deux piliers : comment contrôler le gouvernement, comment sanctionner (et renvoyer) un gouvernement avec la politique duquel on est en désaccord ou qu’on trouve néfaste au bien commun.
C’est bien dans ce cadre-là que se déroule la vie parlementaire, donc la vie politique en France depuis les élections législatives de juillet 2024 tenues en conséquence d’une dissolution de l’Assemblée nationale dont les répercussions avaient été plus imaginées voire fantasmées qu’anticipées et réfléchies (certains y verront le résultat d’une agitation narcissique du pouvoir).
Le président de la République considérant qu’il n’y avait pas de parti dont les députés auraient constitué « un parti majoritaire » au sein de l’Assemblée nationale, tergiversa trop longtemps pour nommer un Premier ministre choisi parmi un groupe parlementaire croupion[2] qui avait été fortement rejeté par les électeurs aux élections précédentes. Certes, aucun des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale ne pouvait prétendre à lui seul à une majorité absolue, mais pragmatiquement il existait bien une échelle dans la représentation qui permettait de déterminer un ordre de classement des partis politiques au regard du nombre de députés élus. Toutefois, une difficulté particulière apparaissait : fallait-il considérer, au seul regard des 193 inscrits sous sa bannière, le Nouveau Front populaire comme un parti « classique » ? L’hétérogénéité du NFP pouvait faire craindre qu’à tout moment l’union éclate (la preuve en fut faite rapidement[3]), donc il pouvait être hasardeux de choisir un Premier ministre en son sein. La deuxième force était représentée elle aussi par une coalition, peut-être moins instable, autour de la force macronienne : Rassemblement pour la République, avec 166 députés ; mais là aussi, bien que cela fut moins incertain qu’avec le NFP, rien ne garantissait que la coalition n’éclate pas un jour. Il restait en troisième position le seul groupe, avec 142 députés, qui présentait une cohésion absolue. Mais, pas plus le président de la République que les autres parlementaires n’acceptèrent ou ne pouvaient accepter que le Premier ministre soit issu du Rassemblement National. Quand bien même le président de la République aurait choisi un Premier ministre dans l’un de ces trois groupes que celui-ci n’aurait pas pu prétendre à une majorité pour le soutenir à l’Assemblée nationale. L’équation était difficile, la solution était impossible ! Mais, en nommant, très tardivement, un Premier ministre issu du parti politique qui avait fait un score extrêmement bas aux élections : 39 députés, non seulement le président de la République ne résolvait rien sur le plan de la mécanique parlementaire mais en plus il envoyait un désaveu cinglant aux électeurs. Dès lors, comment être surpris que l’Assemblée nationale cherchât à sanctionner le gouvernement ? La discussion sur la loi budgétaire offrait aux oppositions un théâtre remarquable pour critiquer le gouvernement, et le recours à l’article 49-3 de la constitution par lequel le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un texte, offrait aux oppositions l’opportunité de déposer et de faire voter une motion de censure. Cette motion de censure dite « provoquée », parce que provoquée par le Premier ministre par recours à l’article 49 al. 3 de la Constitution qui l’oblige à solliciter la confiance du Parlement. L’affaire était trop bonne pour les oppositions, notamment pour LFI. Ainsi, Michel Barnier fut-il renvoyé à sa réflexion sur l’avenir de la France et à celle sur son propre devenir politique.
Puis vint le moment où le président de la République dut choisir un successeur à Michel Barnier. Même si elle fut moins longue que la première fois, l’attente de la nomination fit peser sur le pays et surtout sur le landerneau politique le poids de l’incertitude, ce qui est insoutenable pour les politiciens bien plus que pour les citoyens. Alors, Bayrou sortit du chapeau du magicien Macron. Nous ne conterons pas ici les péripéties de cette nomination un tantinet surprenante compte tenu de la personnalité de ce personnage amplement connu pour ses trahisons politiques mais, en tout cas selon lui, c’est lui « qui a fait Macron », et à propos duquel Jean-Michel Blanquer[4], ancien ministre de l’Éducation nationale, écrit : « Bayrou est ainsi le génial inventeur du volontarisme d’atmosphère, une fumée que l’on sent toujours mais que l’on ne voit jamais. Ami des forces de l’esprit, il reste à l’état gazeux. » « Ce qui comptait pour François Bayrou, c’était le verbe plutôt que l’acte, l’apparence plutôt que la réalité, les joies de narcisse plutôt que les travaux d’Hercule. » Bayrou en place, selon ses habitudes qu’il avait déployées avec force et conviction lorsqu’il était ministre de l’éducation nationale, le nouveau Premier ministre lança un vaste plan de concertation avec « les forces politiques ». On ne sait pas bien ce que le RN a négocié au cours de ces tea-time mais il a obtenu satisfaction puisqu’il n’a pas voté la censure après que Bayrou a eu recours à l’article 49-3 pour faire adopter le budget de l’État et celui de la Sécurité sociale. Dont acte, le RN ne renverse pas le gouvernement et évite de s’expliquer comme le titrait Médiapart le 5 février : « Le RN ne vote pas la censure contre Bayrou, en évitant d’expliquer pourquoi » ; cette posture est sans doute à rapprocher des négociations qui eurent lieu à propos de la nomination à la présidence du Conseil constitutionnel de Richard Ferrand, affidé parmi les affidés de Macron, dont Libération rend largement compte dans son édition du 10 mars : « […] Pacte ou pure manœuvre politicienne ? Quoi qu’il en soit le message a été entendu. Le Pen a donné ordre de ne pas bloquer la nomination de Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel où elle joue en partie son destin politique. » Combinazione[5] diraient nos amis italiens. Marine Le Pen, sous le coup d’un réquisitoire où une possible « inéligibilité » serait assortie d’une « exécution provisoire » ce qui la priverait d’être candidate en 2027, conteste auprès du Conseil constitutionnel préalablement au jugement cette éventuelle peine : alors bienvenu à Ferrand ! Voter contre la motion de censure c’est non seulement accepter le motif qui avait suscité cette motion : la loi budgétaire, mais c’est aussi, puisqu’on ne renverse pas le gouvernement, accepter implicitement sa politique, ainsi le RN, ici, tournait le dos à son électorat.
A priori, on comprend moins la position du Parti Socialiste même si on le sait, depuis les années Mitterrand avec un apogée sous Hollande, qu’il est prompt à tourner le dos à ses valeurs idéologiques et à tromper ses électeurs. Il fallait sans doute, pour le Premier secrétaire, sinon éteindre du moins apaiser l’irritation provoquée par les extravagances de LFI. Comment en cette période déjà préélectorale ne pas répondre au chant des sirènes de tout océan selon lequel le PS est soumis à LFI et ne pas tenter après les désastres du post-hollandisme ne pas chercher à se refaire une santé politique ; notons au passage que sans LFI qui lui a cédé des circonscriptions où serait le PS : sans doute au niveau de LR. Alors le PS a « négocié » avec Bayrou des queues de poires contre un refus de voter la censure. Mais, comme l’a déclaré Arthur Delaporte, le porte-parole du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, « mieux vaut un mauvais budget que pas de budget du tout », curieuse volte de face stratégique par rapport au jour où le PS contribuait à renverser le gouvernement de Michel Barnier. En refusant de voter la motion de censure le PS donnait un blanc-seing au gouvernement et à sa politique. Plus tard le PS, fortement critiqué, y compris par ses « militants », tenta de se refaire une beauté idéologique et politique en déposant, au titre de l’article 49-2 de la Constitution, une motion de censure au prétexte que Bayrou a parlé de « vague de submersion » à propos du ressenti des Français vis-à-vis de l’immigration. Malheureusement pour Bayrou cette notion de « submersion » fut longtemps le monopole du Front National avant d’être reprise et « amplifiée » par Éric Zemmour. Les mots pèsent lourd dans les discours politiques et dans le cas de Bayrou la phrase était pour le moins inopportune ; pour autant méritait-elle une censure, non si on en croit le résultat du vote. Là aussi ne pas voter la censure c’est « approuver » la ligne politique du gouvernement. Ainsi, le PS s’est, peut-être, refait le maquillage aux yeux de ses adhérents majoritairement des « bobo-intello » très éloignés des réalités sociales notamment des ouvriers et des employés qui ont quitté depuis longtemps ce parti devenu celui de la « classe bourgeoise ». Piètre stratégie électoraliste.
LFI se retrouva isolé avec comme seuls soutiens croupions EELV et le PC. Le NFP se dissolvait dans la glu imaginative du futur politique voulu par la PS, lequel était parti seul négocier quelques cacahuètes avec le Premier ministre pour faire bonne figure en préparation de l’élection présidentielle de 2027. Le RN, pour d’autres raisons, allié d’opportunité jouait aussi cavalier seul, et se tournait contre LFI contrairement à l’époque Barnier.
Où est la raison dans ce capharnaüm politique ? On assiste entre deux braillements des députés LFI, à moins que ce soit à cause d’eux, à un retour de la situation où, sous la Troisième République, la motion de censure s’appelait la procédure dite d’interpellation[6]. Celle-ci, très peu encadré par les lois constitutionnelles de 1875, permettait à n’importe quel parlementaire d’interpeller n’importe quel ministre à n’importe quel moment des débats parlementaires. Cette interpellation provoquait immédiatement un débat suivi d’un vote : un vote négatif était un désaveu du gouvernement et de sa politique, ce qui entraînait l’impossibilité de faire adopter les textes portés par le gouvernement, donc ce qui l’empêchait de gouverner. Ce système a souvent provoqué un afflux considérable d’interpellations dont beaucoup étaient difficilement justifiables, certaines même vraisemblablement insensées[7], ce qui fit dire au président Deschanel[8], le 16 janvier 1902 : « Peut-être la France tirerait-elle plus de profit de tant d’efforts, si la Chambre voulait bien s’imposer à elle-même une discipline un peu plus rigoureuse et améliorer, par quelques changements très simples, ses méthodes de travail. Mais souvent aussi, il faut le dire, une partie de l’opinion publique, distraite ou frivole, prête plus d’attention à un incident subalterne, à un orage éphémère qu’aux débats les plus importants et les plus instructifs, à tel discours ou à tel rapport qui suppose des années d’études, parfois même toute une vie consacrée aux affaires publiques ». Une telle situation aurait bien convenu à la stratégie du chaos voulue par Jean-Luc Mélenchon en réinstallant l’ambiance d’instabilité gouvernementale propice à une nouvelle dissolution voire à une démission du président de la République. Dans cette hypothèse on comprend mal que le RN ne soutienne pas la stratégie de LFI, cependant on comprend bien que le PS, loin d’être en ordre de bataille pour une élection qu’elle soit présidentielle ou « seulement » législative se démarque voire se détache de LFI.
Voter contre la motion de censure c’est sinon approuver le gouvernement pour le moins c’est lui donner un blanc-seing. Trop proposer de motions de censure c’est, outre l’effet de déstabilisation politique, donner une impression de vide politique, d’une politique sans autre objectif que la conquête du pouvoir. Cette stratégie est sous-jacente à la description que Jean-Michel Blanquer fait de Mélenchon[9] : « J’en déduisis plus tard que ce parti [LFI] était alors à une bifurcation, car c’est peu de temps après que Jean-Luc Mélenchon, loin de « mettre de l’ordre dans tout cela », allait suivre sa plus mauvaise pente qui le mènerait, tant par calcul électoral que par les excès de son caractère, vers une idéologie communautariste et violente, aux antipodes de ce qui avait constitué le début de son parcours. Il allait se nier et son tropisme fatal ne serait pas sans conséquences pour notre pays. […] Maintenant, il courait en tête des provocations en tous genres. J’avais en mémoire cette séquence télévisée de 2010 où il utilisait des mots très durs pour condamner le port du voile. « Ici, c’est la République », disait-il. Maintenant, il disait « La République, c’est moi », ce qui n’est pas tout à fait la même chose… Dans les deux cas, il utilisait ce ton péremptoire qui n’appartient qu’à lui et aux piliers de comptoir du temps jadis, ceux qui avaient des lettres en même temps que des humeurs et des certitudes. Son propos s’était inversé sur le fond. Mais la chose qui n’avait pas changé, c’était le ton. Là est en réalité la seule continuité de cet homme : la colère pour elle-même. Elle permet tous les revirements car elle donne le sentiment de la sincérité et d’une juste cause. Elle représente pourtant tout le contraire, le triomphe de la bile, la défaite de la pensée. »
Alors : censure ou pas censure ? Trop de motions de censure c’est le bazar obligeant à reconnaître que ceux qui votent contre la motion de censure, souvent à l’opposé de leurs discours idéologiques, se mettent dans la situation de « qui ne dit mot consent ».
[1] D’après Wikipédia, consulté le 24-02-2025.
[2] Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRS) : « Le vrai est qu'une Chambre sans mandat et tronquée n'avait aucun droit de disposer de la couronne (...) Il est encore certain que ce croupion de la Chambre des députés, que ces 221, imbus sous Charles X des traditions de la monarchie héréditaire, n'apportaient aucune disposition propre à la monarchie élective ; ... Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,1848.
[3] Très rapidement le Parti Socialiste fit cavalier seul en allant négocier des bouts de chandelles avec le premier Ministre.
[4] Jean-Michel Blanquer, La citadelle, Albin Michel, septembre 2024.
[5] La Transalpine : L’art délicat de la « combinazione », Jeudi 21 Février 2019, « C’est le genre de petit arrangement (« combinazione » en italien) qui fait tout le sel de la vie politique dans la péninsule. Jeudi 21 février, les députés de la Ligue (favorable au Lyon-Turin) et ceux du « Mouvement 5 Etoiles » (farouchement opposés) ont réuni leurs voix pour adopter une curieuse motion enjoignant le gouvernement à « réexaminer complètement le projet de la ligne Turin-Lyon, dans le cadre de l'application de l'accord entre l'Italie et la France ». Le vote de cette motion a immédiatement soulevé une vague de protestations dans la classe politique (photo), les milieux économiques et les organisations syndicales. »
[6] Il faut attendre la IVe République pour voir apparaître, en France, la motion de censure comme moyen de contrôle du gouvernement, puis la Ve République qui pose des règles précises notamment en matière de recueil et de décompte des suffrages. Sans rentrer dans le détail des modalités de la procédure d’une motion de censure et des modalités de vote, retenons que comme il n’y a pas d’abstention possible ceux qui ne censurent pas le Gouvernement le « soutiennent » implicitement (Pauline Türk, Mémentos LMD Principes fondamentaux de droit constitutionnel, Gualino éditeurs, 2017.). Il demeure que pour pallier l’absence d’un député au moment du vote il est possible de déléguer son vote à un autre député (Guy Carcassonne et Marc Guillaume, La Constitution, Éditions du Seuil, 2016.) pour l’adoption d’une motion de censure s’il est absent au moment du vote.
[7] Le ministère présidé par M. Méline (29 avril 1896-28 juin 1898) a dû répondre à plus de deux cents interpellations.
[8] Adhémar Eismen, Éléments de droit constitutionnel français et comparé, 6è édition revue par Joseph Barthélémy, Sirey, Paris, 1914.
[9] J.M Blanquer, La Citadelle, Albin Michel, 2024.