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Publié par Jean-Jacques LATOUILLE

D’élection en élection les politiciens bercent l’électeur au rythme de la même complainte aux intonations de berceuse. Il faut tenir compte et questionner l’abstention particulièrement plurifactorielle, cependant les politiciens ne questionnent rien et ne tiennent compte de rien, ils constatent. Ils continuent à déverser les mêmes discours, les mêmes querelles partisanes, à avoir la même posture politique : trois petits tours et puis s’en vont vers le siège de leur parti rependre leur marche solitaire vers le « Pouvoir ». Il en fut ainsi dimanche 20 juin, une fois encore, à l’issue du premier tour des élections régionales.

 

Ainsi, sur le plateau de France2, de 20h à 21h, on les a vus se lamenter sur l’abstention record mais n’y apporter aucune analyse si ce n’est : le cumul des élections régionales et départementales de nature à désorienter l’électeur, la nature et l’enjeu de ces élections que les citoyens ne connaîtraient pas, la date tardive cumulée à la sortie du confinement, les dysfonctionnements dans l’organisation, bref des calembredaines et des sornettes tellement chacune ne représentent que peu de choses dans l’abstention. Puis vint une lueur d’espoir avec Rachida Dati : les citoyens seraient lassés par le discours politique et l’attitude des politiciens et des journalistes, surtout ils auraient le sentiment que les élections ne servent à rien.

 

Le sondage de l’IFOP « Profil des électeurs et clés du scrutin (1er tour) » montre bien que les électeurs ont massivement le sentiment que les élections ne « changent rien », qu’elles sont aussi inutiles vis-à-vis de leur situation personnelle que vis-à-vis de l’évolution de la société. Le reste, les autres causes même si elles existent bien sont devenues très secondaires. Dans le caractère multifactoriel de l’abstention nous pouvons ajouter, mais les sondages ne le montrent pas clairement, que les électeurs pensent que la politique régionale comme celle départementale se font plus à Paris que dans les régions ou les départements, la gouvernance centralisatrice d’Emmanuel Macron ayant nourri et renforcé ce sentiment. Quand on interroge les gens, dans une pratique de sociologie immersive, ils expriment bien cette centralisation de la décision citant par exemple les aides sociales qui si elles sont gérées par le département, sont surtout versées par les CAF qui pour les gens sont des organismes rattachés au pouvoir central. C’est bien le gouvernement qui détermine le montant de l’Aide Pour le Logement, de l’Allocation Adulte Handicapé ; alors concernant cette dernière les gens ne voient dans le département que l’organisme qui gère le dossier d’attribution : or on ne vote pas pour élire le directeur d’un service public. Si nous creusions plus avant ce point nous verrions très vite émerger que les gens pensent que les régions et les départements ne disposent que d’une autonomie extrêmement restreinte et qu’ils sont essentiellement le bras armé de politiques nationales ce qu’ont confirmé le mandat d’Emmanuel Macron et particulièrement sa gouvernance de la crise sanitaire. Alors à quoi bon aller voter ?

 

Le discours et l’attitude des politiciens prennent parfois en compte ces données mais c’est pour mieux organiser leurs discours, leurs commentaires autour de la seule critique de leurs adversaires et plus particulièrement contre le « diable » : le Rassemblement National. Ces discours qui annihilent toute possibilité de débat, lassent. Les citoyens attendent des discours constructifs, des discours qui leur permettent de se faire une opinion sur des projets, des discours d’espoir ouvrant vers une amélioration de leurs conditions de vie. Xavier Bertrand a tenu, dimanche soir, un discours dépolitisé, un discours de parti aseptisé, improductif voire contreproductif. Quand il dit que les gens ont reconnu le travail qu’il a fait et qu’il a brisé les mâchoires du RN, c’est l’archétype du discours dont ne veulent plus les gens. D’abord, compte tenu de l’abstention et des votes blancs, ce ne sont que 13 % des électeurs qui ont voté pour lui, qui ont reconnu « son travail » et 87 % qui ne lui accordent pas de satisfecit. Le chiffre devrait l’amener à plus d’humilité quant à la promotion de la supposée qualité de son « travail d’élu » d’autant que ce score n’est pas mieux que celui qu’il fit en 2015 au premier tour (cf. encadré en fin d’article). Ces 13 % représentent vraisemblablement, en analogie à l’analyse nationale du scrutin, un électorat traditionnel de la droite constitué majoritairement de personnes de plus de 50 ans, majoritairement retraitées et plutôt dans une situation financière confortable qui votent par atavisme ; il n’a donc pas recruté au-delà de son cercle habituel. Ensuite, Xavier Bertrand s’est attaqué au RN qu’il persiste à appeler le Front National dans une vaine tentative de diabolisation : « Nous avons desserré, pour les briser, les mâchoires du FN. » En reprenant à son compte le duel Macron-Le Pen qui assomme les électeurs depuis 2017, il fatigue l’électeur moyen réduisant la politique à un duel de personnes et supprimant du discours toute analyse politique. Surtout Xavier Bertrand ne prend pas en compte, par ignorance des analyses sociopolitiques, que l’électorat a évolué depuis l’ère du Front National et de Jean-Marie Le Pen et qu’il ne diabolise pas le RN même quand il ne veut pas de sa ligne idéologique. La diabolisation a d’autant mieux disparu, outre le président de la République et son ministre de l’Intérieur, les membres de la droite dite républicaine ont vis-à-vis des questions de sécurité, de l’immigration et de l’Islam une idéologie semblable avec celle du RN ; Xavier Bertrand n’a-t-il pas mis à son actif le démantèlement de la Jungle de Calais que réclamait le RN. Donc, les électeurs « moyens » et parmi ceux-ci les moins de 30 ans, se disent : si je ne veux pas du RN pourquoi voterai-je pour des politiciens qui font ou qui feront la même politique, pourquoi voter si rien ne change. Quelle alternative se pose alors devant moi ?

 

Le quidam pourrait être tenté par la gauche ou par les écologistes, ce n’était pas le cas chez les moins de 30 ans nous apprirent les sondages d’opinion. Toutefois certains électeurs ont été tentés de voter pour la gauche et ils vont vivre à nouveau la bouillabaisse politique habituelle. En Île de France ceux qui hier ont été incapables de s’unir subitement se rassemblent sur leurs valeurs communes disent-ils, ce qui ne présage rien de bon quant à leur capacité à gérer les autres valeurs qui sous-tendent l’action politique et gestionnaire au quotidien. Le font-ils pour faire opposition et faire tomber la présidente sortante ou pour promouvoir une politique commune ? On sait trop ce que deviennent ces « unions » une fois les élections passées ; ce qui est artificiellement commun ne résiste pas à la rudesse d’une gestion forcément pragmatique d’une collectivité. À côté de cette union où les électeurs ne sont pas complètement trahis, juste inquiets, il en est d’autres comme à Marseille où Jean-Laurent Félizia qui conduisait une liste d’union de gauche, s’est finalement retiré de la course alors qu’il avait engrangé 18,9 % des suffrages, éliminant ainsi la gauche de la scène politique en PACA.

 

C’est sous la pression des instances de son parti : EELV, qu’il a cédé visiblement à contrecœur : « Je voterai dimanche prochain Renaud Muselier pour battre Mariani et sa triste cohorte. » Comme pour Xavier Bertrand le discours de diabolisation est improductif, voire il risque de réveiller les électeurs du RN dont on sait qu’ils se sont massivement abstenus au premier tour. Mais surtout quelle trahison pour les électeurs de gauche qui à Marseille voyaient le retour de la gauche dans l’hémicycle du Conseil régional. Double trahison : celle de l’espoir, celle des idées. Pourtant il proclamait : « Les citoyens de gauche attendent autre chose que l’effacement de leurs valeurs et de leurs idées ». Les quelques conseillers de gauche qui auraient pu promouvoir les idées de gauches sont sortis de la course, donc du Conseil régional laissant le champ entièrement libre aux forces de droite, à une droite conservatrice et ultralibérale. Chacun des électeurs de Monsieur Félizia sait combien une fois élu Monsieur Muselier comme Christian Estrosi en 2015 négligera la gauche, ses projets, ses propositions. C’est une droite orgueilleuse et méprisante qui se présente en se couchant sur ses dissensions : Éric Ciotti, ultralibéral et autoritaire, qui hier voulait exclure Renaud Muselier de leur parti LR vient aujourd’hui lui prêter main-forte ; c’est l’heure de la revanche et de la haine. Monsieur Félizia a fait montre d’une rare lâcheté lorsqu’il déclarait : « Il n’y avait, en vérité, pas de bon choix, mais c’était ma responsabilité d’en prendre un. » Il y en avait un autre : le maintien de sa liste pour ne pas trahir ses électeurs et ne pas assassiner la gauche. Est-ce qu’un pacte républicain qui consiste à tuer dans l’œuf la gauche et ses électeurs est un pacte vraiment républicain ? En tout cas un pacte qui élimine des électeurs, leur retirant le droit à l’expression d’un vrai choix, n’a rien de démocratique. Ce genre de pacte d’opportunité a-t-il encore un sens en 2021 où le président de la République qui n’est pas exempt de responsabilité dans l’abstention et dans la baisse de la confiance dans la démocratie, découvre qu’une abstention massive voudrait dire quelque chose de la maladie de la démocratie est malade ?

 

Ne nous étonnons pas de lire dans Médiapart : « Chez les militants qui ont reçu l’annonce du retrait par un mail sobre et court à 17 h 15, le sentiment d’être privés d’une partie de la campagne prédomine. L’un d’eux confie : « Ne croyez pas que tout ça était improvisé. On avait retravaillé et réécrit nos professions de foi et nos bulletins pour le second tour. Ils étaient sans logo des partis. » Sur un mur du local de la tête de liste du Rassemblement écologique et social, de grandes feuilles blanches accueillent les phrases fortes qui devaient ponctuer la semaine jusqu’au second tour. Au marqueur bleu, un peu effacé, l’une d’elles clame : « Premier tour je choisis, deuxième tour aussi ». » Quel pourra être ce choix : le diable de droite tellement éloigné des valeurs de gauche, le vote blanc ou l’abstention ? Ne vont-ils pas voter pour le RN représenté par Thierry Mariani car tant qu’à avoir le diable autant avoir l’original plus tôt qu’une copie malpropre qui manque d’honnêteté ?

 

On ne pouvait pas faire mieux que dans les Hauts de France et en Provence Côte d’Azur pour continuer à éloigner les électeurs des urnes. Comme l’écrit le philosophe Dominique Bourg dans Psychologie de la connerie en politique : « De manière générale, ce qui semble caractériser la connerie politique est donc la réticence à considérer les changements profonds qui ont affecté nos sociétés depuis des décennies. » Les politiciens, à l’issue du premier tour de cette élection, font la démonstration de la justesse des propos de Dominique Bourg et vont au-delà en manifestant un incroyable mépris des aspirations des électeurs.

 

Jadis l’électeur se demandait pour qui voter, aujourd’hui la question est pourquoi voter ?

 

Élections régionales de 2015 en Nord-Pas-de-Calais-Picardie

 

1er tour Xavier Bertrand obtint 27,97% des votes exprimés mais seulement 13,17% si on rapporte au total des inscrits ce qui est équivalent au score obtenu au 1er tour de 2021.

Marine Le Pen engrangeait 40,64% des votes exprimés.

 

2ème tour Xavier Bertrand terminait avec 57,77% des votes exprimé, seulement 33% du total des inscrits.

Pour ce 2ème tour Xavier Bertrand a bénéficié du désistement de la liste PS, et de l’absence des listes EELV et PCF.

 

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