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Publié par JJ LATOUILLE

Avertissement

 

Ayant décidé de transférer mon blog « homme et politique » chez un nouvel hébergeur j’ai dû changer le titre qui devient « politique et humanité ».

L’opération de transfert de données ayant échoué, j’ai décidé d’éditer à nouveau les derniers articles parus sur « homme et politique ». Leur publication, un peu artificielle, se fera dans un laps de temps court, les uns à la suite des autres et portera la date de leur première publication.

 

Ainsi cet article a été publié pour la première fois le 20 avril 2020

« Ouh la la, la la ! Ben dis donc…

J’vais vous expliquer pourquoi j’vous ai dérangés[1]. »

 

[1] Revue De Presse par Coluche.

 

Je viens de lire dans le journal £e Monde que notre unique porte‑avions : le Charles de Gaulle, n’a plus d’équipage en raison d’une attaque massive du CoViD‑19. Là, me reviennent en trombe, dans une foultitude indescriptible, des images du passé.

 

Aujourd’hui je suis parmi les séniors, songez : 68 ans dans un mois et deux jours, mais il fut une autre époque où j’œuvrais, très jeune entre 19 ans et 33 ans, dans les sphères de la Protection Civile, aujourd’hui on parle de Sécurité Civile. Tiens, le changement de vocabulaire serait-il signifiant d’un changement de programme ? Il ne s’agit plus de protéger mais d’assurer la sécurité des citoyens. Où s’est fait le tournant : sans doute à un moment où on pensait plus en termes de catastrophe naturelle que de guerre. La notion de protection serait-elle plus liée à l’action post-incident alors que celle de sécurité serait consubstantielle à la prévention et à l’anticipation, comme pourrait le laisser penser l’article 1er de la loi de 1987 relative à l’organisation de la Sécurité Civile[2] : « La sécurité civile a pour objet la prévention des risques de toute nature ainsi que la protection des personnes, des biens et de l’environnement contre les accidents, les sinistres et les catastrophesLa préparation des mesures de sauvegarde et la mise en œuvre des moyens nécessaires pour faire face aux risques majeurs et aux catastrophes sont assurées dans les conditions prévues par le présent titre. Elles sont déterminées dans le cadre de plans d’organisation des secours dénommés Plans Orsec et de plans d’urgence. » ?

 

N’allons pas plus loin dans cette discussion qui n’est pas mon propos d’aujourd’hui, j’en retiendrai cependant que le concept de sécurité inclut substantiellement ceux de prévention donc d’anticipation. N’est‑ce pas que le virus du CoViD-19 semble nous dire que nous n’avons rien anticipé, comme si les épidémies ne devaient plus avoir lieu ? Or, depuis quelques décennies elles se multiplient à une cadence assez incroyable[3] : 1er juin 1956, apparition de la grippe asiatique. Un nouveau virus grippal (H2N2) est à l’origine de la mort d’environ 4 millions de personnes ; 1968 – 1970, la grippe de Hong-Kong, le virus H3N2 fait entre 1 et 2 millions de personnes ; 1969, la fièvre de Lassa est endémique au Nigeria, en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone, où des flambées épidémiques surviennent régulièrement ; 20 mai 1983, le virus VIH est identifié, depuis le début de l’épidémie environ 78 millions de personnes ont été infectées par le VIH et 39 millions de personnes sont décédées de maladies liées au sida ; 16 novembre 2002, apparition du SRAS ; 15 mars 2003, l’OMS lance une alerte mondiale sur le SRAS. L’épidémie fera en tout plus de 800 morts dans le monde sur un total de 8 000 cas ; 2 009 – 2010, épidémie H1N1 pour laquelle on recense près de 25 millions de cas confirmés et de l’ordre de 10 000 morts et en 2010, le bilan est en dessous des 20 000 morts ; 2 009 – 2010, une épidémie de méningite bactérienne fait 78 416 victimes dont 4 053 mortels ; 2014, l’épidémie d’Ebola, a fait plus de 20 000 morts et continue d’être active ; sans oublier la réapparition de maladies qu’on croyait éradiquées : la variole, la rougeole, la tuberculose…

 

Par quel processus de penser en sommes-nous arrivés à ne pas prévoir : pas de réserve de masques, réduction des capacités d’accueil des hôpitaux tant en matériels, en lits qu’en personnels… Où sont les plans d’organisation des secours qui permettraient, comme ce fut le cas pour le plan ORSEC, de mobiliser rapidement toutes les forces vives nécessaires au « combat » (pour suivre la métaphore d’E. Macron) ? Où est la coordination étatique qui doit s’imposer dans un état décentralisé en de pareils cas ? Où sont les ordres de réquisition des moyens « civils » nécessaires aux opérations de sauvetage médical mais aussi social ?

 

Comment ce fait-il que les « érudits » qui gouvernent et ceux qui ont gouverné durant ses 40 ans, aient oublié ce que disait Jules César : « Qui veut la paix prépare la guerre. » Là, me revient l’histoire de l’accueil des « Boat People » en 1979, cette année‑là la France accueillit 120 000 réfugiés du Vietnam et il nous incombât, là où j’œuvrais, d’organiser un centre d’accueil et d’insertion. En moins d’une semaine les locaux étaient réquisitionnés et aménagés, la subsistance, les soins médicaux, la prise en charge sociale et psychologique organisés. Nous avions des plans prêts à être déclenchés et du matériel en réserve… Certes l’ampleur était, au moins en apparence, moindre que l’attaque du virus CoViD-19, mais nous avions anticipé. Je pourrais citer d’autres expériences qui s’opposent au manque d’anticipation actuel.

 

À moins qu’il ne s’agisse pas d’absence d’anticipation mais d’un mode de gestion où le principe de gestion serait fondé exclusivement sur le « présentisme » : pas de stock, de la réactivité, pas d’immobilisation de coûts… On comprendra alors que la France puisse n’avoir qu’un porte-avions car en matière de guerre il s’agirait surtout de dissuader l’ennemi potentiel. On a fait ça avec la ligne Maginot, certes ça n’a pas été un franc succès… Mais, si on peut sous-estimer l’ennemi on ne peut pas l’ignorer comme on l’a fait pour le CoViD-19.

 

Rappelez-vous tous ces médecins, dont Didier Raoult, Michel Cymes et mon voisin médecin, qui venaient nous raconter qu’il ne s’agissait que d’une « grippette ». On ne peut pas vraiment les maudire, cependant quand on sait ce que sont les virus, notamment les coronavirus, et compte tenu de l’histoire récente des épidémies (cf plus haut) on attendait d’eux un peu plus de circonspection et de précaution ; corrélativement on attendait des autorités étatiques une action plus vive, plus rapide, plus organisée. N’y eut-il pas un certain Patrick Pelloux, réanimateur très médiatique, qui appelait à ne pas fermer les écoles sinon les soignants, devant garder leurs enfants, ne pourraient plus travailler : n’étions-nous pas capables d’organiser (ce fut fait tardivement et par la force des choses) une prise en charge des enfants, tout comme nous aurions dû organiser le transport et l’hébergement de ces personnels soignants. Il semble qu’on a moins géré que cherché à cacher les manques et qu’on a beaucoup espéré sur une extinction « naturelle » de l’épidémie.

 

Réquisitionner des hôtels ça a un coût, le bénévolat ne coûte rien ; pourquoi pas mais le volontariat ça s’organise, pas seulement en ouvrant des plateformes sur internet. Ceci est un aspect mineur de la crise de gestion le pire se trouvant sans doute dans l’incapacité à dire les manques : manques de masques, de matériel médical, de lits…, mais chacun sait qu’il est impossible pour un politicien, gouvernant ou pas, d’avouer ses faiblesses qui, dans le cas présent, ont la couleur de l’incompétence. Alors, on s’est réfugié derrière la science, comme si la médecine était une science et rappelons qu’en latin medicina qui signifie art de guérir, oubliant que quand on ne sait pas, et les médecins qui n’ont jamais cessé de le dire ne savaient presque rien du CoViD-19, il vaut mieux prévoir le pire. Il fallait donc faire reposer les analyses et les actions sur un savoir général qui aurait dû inciter à la prudence et, comme pour la guerre, à prévoir le pire et à se préparer à y faire face suivant ce que disait Aristote : « qui peut le plus, peut le moins », en somme il vaut mieux avoir des lits de réanimation dont on ne se sert pas que de ne pas les avoir en cas de besoin.

 

Cela nous dit que nous sommes dans cette situation d’extrême orgueil suivant laquelle nous sommes sûrs de maîtriser la connaissance, le doute a quitté notre esprit ; il faut y voir là la suprématie de la technologie et de « l’algorithmie[4] » généralisée à la gestion de la société qui ont remplacé la philosophie et la pensée philanthropique, il faut ajouter le poids considérable de la pensée « financière » qui domine désormais les actions humaines et la gouvernance des sociétés. Nous sommes désormais, notamment avec les tenants du tout numérique, dans une illusion : celle de la connaissance. Certes, nous avons des connaissances mais nous avons perdu, si jamais nous l’avons eu, la CONNAISSANCE, celle qui unifie les connaissances au sein de l’humanité et de l’unicité de l’Être, de l’Homme. C’est en substance ce qu’écrit Edgar Morin[5] : « Il nous faut dissiper l’illusion qui prétend que nous serions arrivé·e·s à la société de la connaissance. En fait, nous sommes parvenu·e·s à la société des connaissances séparées les unes des autres, séparation qui nous empêche de les relier pour concevoir les problèmes fondamentaux et globaux tant de nos vies personnelles que de nos destins collectifs. »

 

Virus, Tu dis quoi ? Le CoViD-19 dit nos incapacités et nos incompétences en matière de prise en compte de l’humanité. Il y a celles des gouvernants et des scientifiques, et il y a celles plus prosaïques des journalistes incapables, pour la plupart, de voir la pauvreté, le cas isolé, l’exclu et qui ne regardent que leurs semblables des classes moyennes séides du monde de la finance. Le CoViD-19 nous dit que la société du spectacle et de la consommation n’est pas la société des hommes humbles et pauvres. Le CoViD-19 nous dit les inégalités, la peur de les voir comme la peur de la mort et il nous prévient, mais saurons-nous le voir, que le pire est à venir à cause de l’exacerbation des inégalités et des injustices.

 

Virus, Tu dis quoi ? Virus que dis-tu de moi ?

 

[1] Revue De Presse par Coluche.

[2] Loi n°87-565 du 22 juillet 1987 relative à l'organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l'incendie et à la prévention des risques majeurs.

[4] On nous « bassine » avec le « traçage » alors qu’on est incapable d’augmenter la production de masques à la hauteur des besoins.

[5] Edgar Morin, La Voie. Pour l'avenir de l'humanité. Paris : Fayard, p. 146.

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